Cette fragilité qui consiste à être au monde.

par Didier Arnaudet,critique d'art et poète, 1998 - Paru dans Gironde-Magazine pour l'exposition de Françoise Deverre à la galerie Zôgraphia de Bordeaux.


Chez Françoise Deverre, rien n’est fortuit ni gratuit. Tout manifeste cet élan indéfiniment repris où s’inscrustent les traces d’un parcours obstiné. Tout demeure inséparable de cette expérience existentielle qui provoque la double tension de la fusion et de l’éclatement. Tout se donne dans ses étendues agitées de remous souterrains, ses signes de résistance rocailleuse, ses gestes mis à l’épreuve de la rugosité et de l’obstacle contrastant avec des organisations rigides, des exigences géométriques et des séquences calculées de lumière vive. Françoise Deverre ne cherche pas à bâtir sa peinture en «monde» où la violence d’une séduction disperse les questions de fondation pour ne plus faire référence que de son spectacle. Elle convoque au contraire cette fragilité qui consiste à être au monde, à s’engager dans cette énigme sans avoir la moindre certitude de réussir à saisir ce qui la mobilise.


Françoise Deverre se place sous la seule autorité de ce qui creuse nos plus intimes résistances, donc de ce qui incite à voir. Sa peinture participe à la fois de l’ordre et du désordre et s’ouvre un passage entre des désirs de liaison et de rupture, de stabilité et de mobilité qui exercent les uns sur les autres une attraction réciproque. Dans la fulgurance de son espace qui ne fait l’économie ni du morcellement ni de l’arrachement, ont lieu le don et le retrait, la naissance et la mort, la concentration et la dispersion. Françoise Deverre privilégie l’enregistrement des forces et des événements issus de ce singulier rassemblement de moments de vie et de fragments du monde. Mais ces condensations d’éclats et de courants, d’éclairs et d’opacités, de turbulences et d’accalmies n’interpellent aucunement une totalité passée ou à venir mais assurent la cohérence d’une peinture garante du sens de l’existence.


L’œuvre ainsi prend acte de ce questionnement incessant pris dans les insistances de l’espace et du temps. Et elle n’a pas d’autre visée que de l’insérer au centre d’un immense réseau de contradictions et de correspondances. Un peu comme on place une voix? Mais il s’agit ici d’une voix proche et lointaine, amplifiée et assourdie, toute contenue dans les multiples rumeurs de la couleur et qui paradoxalement ne s’éveillera à nous que par la puissance incisive du regard que l’on portera sur elle.


Didier Arnaudet

1 - collabore notamment à la revue «Artpress», a publié de nombreux textes et études dans divers ouvrages et catalogues, ainsi que des recueils de poésie, comme «Exercices d’équilibre» paru en 2003, aux Editions «Le bleu du ciel». Il est également membre de l’Association Internationale des critiques d’art.