De la relation dans l’étant – Casser la linéarité

Par Françoise Deverre - 2012 - Présentation de sa démarche picturale.

 

     Toute peinture qui se tient est la tenue d’un silence (L’atelier infini - J.C. Bailly).
     La peinture «cosa mentale» ne se réduit pas à son concept, Nicolas Poussin parlait de prospect.

     Comment peindre au jour de l’interdit ?
   L’activité créatrice après l’excitation de la 1ère moitié du XXème siècle, son extraordinaire ouverture déjà perturbée par la guerre 1914-18 et suivie du nazisme, résistera quelques années encore via les Etats-Unis et patatras, la peinture est déclarée morte, vouée aux Gémonies, au moment même où la littérature se tait, la peinture qui est silence sera rejetée particulièrement en France, la nouvelle figuration ne changera rien. Elle est galeuse dans un monde de transparence.

       Mon intention cherchait l’ouverture conduisant à une spatialité ouverte dans laquelle je pouvais insérer des différences, des contradictions, des fulgurances, des ruptures afin de casser toute linéarité, toute tendance absolutiste, à l’instar du Nouveau Roman. Ma peinture est un ensemble de «plis»¹, de zones d’ombre pour une expérience réflexive dans le temps. Ni figurative ni abstraite, elle est un ensemble de forces qui par leur rapprochement même produisent une sorte de dialogue improbable.

     Ma première préoccupation dès mon engagement pictural fût la recherche d’éléments pouvant transformer nos visions et répondre au choc de l’existence du nazisme. Pas de perspective, pas de projet linéaire. Refus du naturalisme, une expérience de destruction du discours, Décomposition/Recomposition, dirait Skimao.

     Depuis sa naissance, la peinture est d’abord une histoire de relations distinctes mais aussi complémentaires qui se tendent, se renforcent, se soutiennent, s’éloignent, se rapprochent pour produire une «image» toujours en mouvement et pourtant immobile sur une surface plane, image dont les affects semblent être le premier ressort dans une perspective purement mentale qui bouleverse, décore, interpelle et trouble notre positionnement de pensée et parce que les années 60 sentaient encore bien des parfums répugnants, je mis en place vers 1987 des polyptyques qui évoluèrent rapidement vers un polylangage telles les Convergences paradoxales qui permettaient une floraison d’images-signe, sensation du dedans plutôt que du dehors, pas de perspective mais des temps différés. Ces ensembles contribuèrent à questionner la pluralité et ses frottements. Une peinture - relation dans un monde fracturé. Désormais la peinture était devenue question et relation.

       Le fractionnement renforcé par un vide-intervalle accentue la lecture des différences vers le tout. Petites monades comprises dans une autre: la toile. Tentative qui me rapprochait de nos fonctionnements mentaux.

     Comme je l’évoquais plus haut, les premiers polyptyques datent de 1987, il s’agissait d’échantillons de papier peint posés à même le sol, sans choix de motif, uniquement déterminés par le nombre, qu’une trame gestuelle cherchait à réunir. Ce sont les Combinatoires, très Support-Surface. La question du cadre et de la différence demeurera majeure dans mon travail. La seconde aventure importante des polyptyques se produira avec les Convergences paradoxales, le papier peint est souvent sur l’envers, les lés sont différents mais complémentaires, forme plurielle qui préserve l’unicité de l’ensemble malgré les ruptures. C’est à ce moment que se structure tout mon devenir pictural. Organisé en divers lés de différentes largeurs séparés d’un espace-silence d’environ 1 cm ou plus selon les formats. Ceux-ci peuvent aller de la miniature au très grand format.

       Une œuvre ouverte pour une plus grande liberté, un tissu d’intentions en devenir. A cette fin, j’opte pour le polyptyque comme support conceptuel de mon propos. Ces polyptyques prédécoupés et séparés varient dans leur agencement et déterminent l’espace dans lequel opérer. C’est à partir de là que mon intention se précise, tournée vers la différence, la pluralité des langages picturaux. Ceux-ci, sans systématisme, privilégient une forme picturale plus «archaïque» (expressionnisme abstrait, mêlant taches colorées, gestualité, gribouillage maîtrisé), une mise en relation voire en opposition avec des géométries qui rompent toute intention lyrique, des intermédiaires existent comme des interférences.
     Vous l’aurez compris, mon travail est donc une mise en relation d’éléments différenciés. Travail construit autour de l’enfouissement et des résurgences de mémoire. Tenter une approche de nos fonctionnements mentaux et enlever toute projection perspectiviste et linéaire si souvent entretenue dans notre espace culturel. Depuis 2007, j’expérimente de nouvelles organisations tout en restant fidèle à mes premières préoccupations.