Décompositions / Recompositions

par Skimao, Octobre 2008 - Écrit à l'occasion des 3 expositions prévues pour cette même année. Ce texte a fait l'objet d'une publication aux Editions de L'Exil.

 

           Au début, Françoise Deverre énonce la règle. Dans un de nos entretiens, elle affirme : «  Les polyptyques toujours... ils sont comme un concept de base, pour construire un espace pluriel qui me permet de tenter dans la réalisation même d’être le plus à l’écoute de mon propre fonctionnement cérébral, loin d’une pensée construite mais plutôt, des aléatoires, des fulgurances, du temps en action. Somme toute, une autre totalité fractionnée, toujours en mouvement. »

           Ensuite, Françoise Deverre réalise deux nouvelles séries, intitulées respectivement Retables, séparés, non-séparés et Les croix ou la dissymétrie du T, dans une continuité affirmée mais aussi avec un sens certain du dépassement. Affirmation d’un nouveau vocabulaire à l’intérieur de sa grammaire de formes ? Démonstration d’une évolution ? Approche sereine ou tourmentée d’un renouvellement plastique ? Laissons ces questionnements accomplir tranquillement leur chemin visuel et essayons de cerner les résultats de sa démarche.

           La série Retables… opte pour un emboîtement de formes qui délaisse la verticalité affirmée des polyptyques. Une horizontalité fonctionnant sur un regard spiralé créant ainsi une dynamique nouvelle pour le regardeur. On retrouve la présence d’un espace entre les diverses parties mais dans une cohésion nouvelle. Les parties s’opposent en se complétant, se complètent en se divisant, affirment toujours la prééminence du fragment par rapport à la totalité. Ils introduisent cette volonté complexe de mettre en œuvre couleurs et tracés jusqu’à obtenir une nouvelle projection de cette abstraction si souvent malmenée et toujours recommencée. Certains d’entre eux possèdent une partie découpée, vers le bas, qui introduit une ouverture physique dans la composition générale. Le déséquilibre engendré par cette « anomalie » dans la structure propose un basculement mental, l’annonce d’une dissymétrie nouvelle.

           Les croix…, l’autre série, mixe l’horizontalité avec les deux branches de la croix tandis que les verticalités s’affirment de part et d’autre de cette structure en « T ». On songera à la forme de la lettre grecque « tau ». Mais ses deux branches sont dissymétriques. Elles rassemblent et séparent conjointement. La lecture joue à la fois sur une structure qualifiable de mixte et l’enrichit fortement puisque le balayage visuel opère sur les deux lignes de composition. Pour aboutir également à une composition globale qualifiable de tourbillonnante. L’effet de croisement agit ainsi de façon inopinée et efficace, avec parfois un allongement d’une des parties supérieures, véritable excroissance de la composition, prenant de vitesse les collisions picturales trop sûrement établies. Sur d’autres pièces, un collage, une bande de papier s’invite sur le motif en « T », déstabilisant l’ensemble qui apparaîtrait sinon comme trop monumental. Il introduit une effet surprenant de distorsion, sorte de raboutage physique mais aussi intellectuel.

          Avec cette mise en scène d’une structure opérante, Françoise Deverre ouvre un nouveau champ exploratoire. Position héraclitéenne. Apparition de dissonances dans le cadre de polyptyques par trop réglés. Eclatement des structures d’accrochage trop bien normées. Pour les deux séries, concernant les petits formats sur papier, la notion de kit apparaît comme essentielle avec la possibilité de construire une nouvelle œuvre à chaque fois. Les différents fragments, faciles à transporter, faciles à réaliser, faciles à assembler, en apparence, se composent et se décomposent en fonction de leurs liens évidents ou secrets. Possèdent leur vie propre. La notion cardinale d’assemblage apporte là encore une double approche. D’une part, une volonté qui joue avec les croisements et leurs interactions, de l’autre un regard qui place les masses et leur empilement de façon presque instinctive. Des schémas rigoureux rédigés à l’envers donnent la clé de composition de cet univers flottant.

           Le vide engendre une respiration. Une possibilité d’approcher l’imperceptible entre deux éléments. Pousser la porte pour aboutir à une béance. No man’s land perceptible pourtant, d’une réconciliation offerte, recréée par le regardeur. Ce qui sépare permet de mieux rejoindre l’autre possible. Cette relecture du retable historique, sans panneaux de bois évidemment, propose un décalage conceptuel des plus intéressants. La possibilité de déconstruire les structures pour arriver à autre chose, d’éminemment contemporain. L’ouverture sur un monde hétérogène et pourtant réconcilié avec lui-même. L’art…

       Christian SKIMAO